Aux Mille vaches « Ils m’ont traité comme un chien et ils maltraitent les vaches »

Par Marie Astier (Reporterre)

Article original sur www.reporterre.net
Proposé pour la Une du FSL la conf56



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Les conditions de vie à la ferme-usine des Mille vaches ne sont pas idéales : animaux maltraités, salariés harassés. Reporterre publie un témoignage accablant. Et la réponse de Michel Ramery, qui relativise les faits rapportés.

« Il m’a demandé : il te plaît ton boulot ? J’ai répondu que je devais réfléchir. Il m’a dit, ’T’inquiète, j’ai déjà réfléchi pour toi, tu pars’. » Voici comment notre témoin a été licencié de la ferme-usine des Milles vaches, à Drucat, dans la Somme.

« Ils m’ont traité comme un chien et ils maltraitent les vaches. C’est pour cela qu’aujourd’hui je parle. » Sous couvert d’anonymat, cet ex-salarié de la ferme-usine a accepté de se confier à Reporterre. Il a été renvoyé il y a peu de temps. S’il souhaite qu’on ne dévoile pas son nom, c’est qu’il est actuellement à la recherche d’un nouvel emploi… Pour prouver son identité, il nous envoie une fiche de paie ; il était rémunéré au Smic.

Première surprise, il y aurait plus de 485 vaches dans la ferme-usine. « Cela fait longtemps qu’il y en a plus, on en est à 723 maintenant. Je le sais parce que c’est écrit sur le roto [l’appareil de traite – NDLR] en fin de traite. Des camions amenant de nouvelles vaches arrivent souvent. Le temps où j’étais là, au moins quatre-vingt sont arrivées. On m’a dit qu’elles venaient d’un grand élevage du centre de la France, qui a fermé. » En avril, pourtant, le ministre de l’Agriculture avait promis qu’il faudrait une enquête publique pour aller au-delà de cinq cents bovins.

« Elles sont traites trois fois par jour, sauf les malades qui sont traites deux fois par jour. » Pourquoi traire les vaches trois fois par jour ? « Ils disent que c’est pour éviter la saturation du pis. Parce que quand les pis sont pleins, la vache ne produit plus de lait. » En clair, traire les vaches trois fois par jour permet de leur faire produire plus de lait.

Selon lui, les animaux sont en très mauvaise santé : « Dans le troupeau, il y a au moins 300 vaches qui boitent. Elles sont fatiguées, maigres. Elles ont des ongles trop longs ou des sabots qui pourrissent. Elles marchent à longueur de journée dans leurs excréments. D’habitude, on nettoie tous les deux jours dans ce type d’élevage, là c’est tous les quinze jours. Les vaches sont sales. »

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« Dans un élevage normal, quand une vache boite, on regarde ce qu’elle a. Mais là, on ne regarde pas quel est le problème. Les responsables ne veulent pas mettre de produit pour soigner les bêtes, parce que ça coûte cher et que c’est du boulot. »

D’après notre témoin, le responsable qui gère l’élevage au quotidien, Stéphane, « vient du milieu du cochon, du coup il s’occupe n’importe comment des vaches. Il les tue accidentellement. Par exemple, il ne sait pas les faire vêler [accoucher-NDLR], alors une vache a fait une hémorragie interne. »

Résultat : « Il y a au moins deux ou trois vaches qui meurent chaque semaine, c’est beaucoup quand même. Les responsables disent que c’est normal que les vaches soient malades parce qu’il y en a beaucoup. »

Selon le témoignage, ce « patron », Stéphane, « se promène avec une bouteille en verre. Il dit que dedans, il y a du produit pour euthanasier les vaches quand elles sont trop malades. On lui dit que c’est interdit, que c’est au véto de le faire. Il nous répond de nous taire… »

Combien de personnes travaillent-elles dans la ferme-usine ? « Quand je suis arrivé, il y avait une comptable, une secrétaire, deux responsables et trente-trois employés. Quand je suis parti, on n’était plus que quinze. » Il nous décrit des rotations d’équipes minutées, organisées comme à l’usine : « Il y a deux équipes, celle qui travaille de 5 h à 14 h 30 et celle qui travaille de 14 h 30 à minuit. »

Selon lui, « ici on n’est pas respecté ». Stéphane, qui gère aussi le personnel au quotidien, « nous prend pour ses chiens. Quand on laisse traîner nos affaires, par exemple, il les jette. »

« Les salariés sont usés, comme les vaches », résume-t-il.

La réponse de Michel Ramery, propriétaire de la ferme-usine des Mille vaches

Reporterre a pu joindre Michel Ramery, entrepreneur qui a lancé la ferme-usine des Mille vaches. Il nous dit être au Sénégal et accepte de répondre à nos questions. Combien y a-t-il de vaches dans sa ferme ? « A peu près 500 », affirme-t-il. Mais selon nos informations, il y en aurait plutôt 700. « Oui, c’est possible, admet-il. Cela fait un mois que je suis parti, mais il y en a quelques unes de plus qui sont arrivées. Donc mettons 700. »

Autres informations données par notre témoin, qu’il confirme : les vaches sont traites trois fois par jour et une quinzaine de salariés s’en occupent. Il sont payés au Smic, plus les heures supplémentaires.

En revanche, l’entrepreneur nie que les animaux puissent être en mauvaise santé et mal soignés. « Une vache ça vaut de l’argent, ce n’est pas dans notre intérêt de les faire mourir, elles sont bien soignées. Quand quelqu’un perd une vache sur cinquante, ça fait mal. Mais c’est vrai qu’avec 700 vaches, on peut en perdre 14… »

« Les vaches, elles sont soignées parfaitement, affirme-t-il. Je suis un perfectionniste ! »

Pourtant, redisons-nous, on nous rapporte qu’il en meurt deux ou trois par semaine ? « Ce n’est pas trois par semaine ! Les vaches mortes, c’est un problème qu’on a eu au début parce qu’on a dû les ramener en cachette. (…) Au début, on avait un peu plus de mortalité que la normale. On a acheté des vaches un peu partout et elles n’ont pas apprécié le changement de bâtiment. Mais maintenant, on est dans des critères normaux de pertes de vaches. »

Du côté des salariés, leur nombre a-t-il diminué ces derniers temps ? Il conteste vigoureusement. « C’est du non sens, on a plus de vaches, donc on a davantage de salariés pour les traire ! » Il reconnaît que « cinq ou six » employés sont partis. Mais pas parce qu’ils ont été renvoyés : « Il y a un gars qui n’était pas mal, je lui ai demandé pourquoi il ne restait pas, il m’a répondu qu’il gagnait 150 euros de plus au chômage ! »

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