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Par Jérôme Brisson | Rue89 | 28/05/2010 | 21H36
Début mai, la firme américaine Monsanto, leader mondial des OGM, a annoncé un don à Haïti de 475 947 kilos de graines hybrides de maïs et de légumes. Ils seront distribués pendant douze mois aux paysans haïtiens avec l'aide d'autres multinationales (UPS et Kuehne+Nage). Explications sur le site Internet de la firme :
L'opération est soutenue par le gouvernement américain puisqu'elle s'inscrit dans le cadre du projet Winner, lancé en octobre dernier par l'Agence américaine d'aide au développement international (USAID) pour aider à construire une nouvelle infrastructure agricole en Haïti.
En Haïti, les paysans accusent Monsanto de vouloir mettre la main sur l'agriculture locale. La vague d'indignation a débuté le 10 mai, initiée par un article du curé Jean-Yves Urfié qui dénonce le « cadeau empoisonné » de Monsanto.
Sa première inquiétude porte sur les graines envoyées par Monsanto, qu'il soupçonne d'être des OGM accompagnés d'herbicides toxiques (les « Roundup »).
Mais le ministre de l'Agriculture Joana Gué dément cette information lors d'une conférence de presse deux jours plus tard. Puis c'est au tour de Monsanto de réfuter sur son site une accusation « erronée ». Jean-Yves Urfié rectifie finalement sa dénonciation.
La seconde inquiétude de Jean-Yves Urfié porte sur la « fin de l'indépendance des agriculteurs » haïtiens :
Beverly Bell, coordinatrice de l'association Other Worlds, qui travaille à la reconstruction d'un « Haïti plus juste », explique à Rue89 les enjeux cachés de ce don :
Le tremblement de terre de janvier dernier avait mis en lumière les difficultés de production agricole d'Haïti, qui importe 80% de la nourriture qu'il consomme.
Le don de Monsanto risque de nuire aux projets haïtiens de « souveraineté alimentaire » : une forte production agricole locale pour une consommation locale.
En effet, les graines de maïs de Monsanto ne pouvant être resemées, les agriculteurs devront en racheter à Monsanto les années suivantes.
Une logique de marché inadéquate avec la culture paysanne d'Haïti, comme nous l'explique Ricot Jean Pierre, économiste à la PAPDA (Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif) :
Les agriculteurs n'ont d'ailleurs pas manqué de réagir à l'annonce du don. Le leader du Mouvement paysan papaye (MPP), Chavannes Jean-Baptiste, a qualifié le don de Monsanto de « nouveau tremblement de terre », enjoignant les agriculteurs à brûler toutes les graines de maïs provenant du ministère de l'Agriculture. Une marche de protestation est prévue pour le 4 juin.
Le geste de Monsanto s'inscrit dans une politique d'expansion agressive de la multinationale. La compagnie, qui a vu ses profits reculer de 19% pour le deuxième trimestre de l'exercice 2009-2010, tente d'ouvrir de nouveaux marchés.
Pour l'USAID, ce don ne conduira pas à une main mise de Monsanto sur l'agriculture locale, puisqu'il ne représente qu'une petite partie de l'aide internationale :
Monsanto pense distribuer ces graines à 10 000 paysans. Pour Beverly Bell, il y a un risque que ces graines hybrides laissent place à des OGM les années suivantes, « comme cela a été le cas dans d'autre pays » :
Les soupçons sont d'autant plus forts que Monsanto, premier producteur mondial d'OGM, a un lourd passé de pratiques douteuses (agents oranges, pollution des pesticides, absences de tests sur les OGM), sur lesquelles Marie-Monique Robin avait enquêté dans son documentaire « Le monde selon Monsanto ».
En outre, les Haïtiens n'ont pas manqué de remarquer que le directeur général du projet Winne n'est autre que Jean-Robert Estimé, qui fut ministre des Affaires étrangères pendant 29 ans sous la dictature des Duvalier.
Photo : un germe de maïs sous une serre Monsanto de Chesterfield, dans le Missouri, aux Etats-Unis, le 9 octobre 2009 (Peter Newcomb/Reuters).
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