Par Gilles Balbastre. ( http://www.acrimed.org )
En cette matinée du 19 octobre 2010, les journalistes de la rédaction de RTL et Vincent Parizot, présentateur de la tranche 7-9h30 à leur tête, sont dans les starting-blocks. Une nouvelle journée de mobilisation contre la réforme des retraites s’annonce.
D’ordinaire pourtant, au matin d’une telle journée, sur RTL comme ailleurs, hormis les désagréments dans les transports, rien de passionnant ne mérite l’attention. La routine en quelque sorte. D’autant que sur RTL, comme d’ailleurs sur Europe 1 ou sur RMC ou dans la plupart des médias audiovisuels privés, les professionnels de l’information ne font jamais grève ou si rarement ! Aucune raison alors, dans ce milieu fortement marqué par l’individualisme et l’arrivisme, de se laisser emporter par l’émotion des solidarités collectives. Aucun risque de « dérapages » de l’ « objectivité » !
Or, ce matin-là, la journée s’annonçait plus palpitante.
La veille, une poignée d’affrontements entre jeunes et force de l’ordre (Lille, Lyon, Nanterre) ont été dramatiquement mis en avant par un grand nombre de médias : « Manifestations lycéennes : violences dans plusieurs villes » clame l’AFP ; « Manifestations lycéennes : 290 casseurs interpellés, 231 en garde à vue » poursuit toujours l’AFP ; « Retraites - Violences dans les manifestations lycéennes à Lyon » surenchérit le concurrent Reuters. « Des manifestations de lycéens dégénèrent, 290 “casseurs” interpellés », tremble TF1 ; « IdF : une lycéenne blessée dans une manif », frémit Europe 1 ; « Lycées : des violences et des affrontements en marge des blocages », grelotte Libération. Mais ce n’est pas tout. Les raffineries sont bloquées par les salariés, la pénurie d’essence guette. Et, cerise sur le gâteau, les transports sont sérieusement touchés un peu partout en France par la mobilisation des cheminots et autres chauffeurs de bus.
Autant d’événements qui font qu’un journaliste de RTL digne de ce nom se sent stimulé. Tout est en place pour réaliser un « excellent » journal. Vincent Parizot le sait instinctivement, et ses acolytes de la tranche matinale, Jean-Michel Aphatie, Alain Duhamel et Yves Calvi également. Les auditeurs, parmi lesquels un certain nombre égarés suite à la grève des stations de Radio France – dans le service public, des salariés font malgré tout grève – vont en avoir plein les esgourdes…
7h : les casseurs de tous les dangers.
… Et ça commence très fort dès le journal de 7h. Les duettistes, Vincent Parizot et Marie Guerrier, en leur qualité de grands professionnels de RTL, épousent spontanément la ligne éditoriale de leur station et informent d’abord, dans le registre qui convient, sur le point de vue de la police : « La police redoute la violence des casseurs dans les manifestations d’aujourd’hui contre la réforme des retraites. Il y a eu des incidents dans plusieurs villes hier », s’alarme ainsi Marie Guerrier. « Les syndicats de police s’inquiètent de nouveaux débordements dans les manifestations aujourd’hui. Il faut dire que déjà hier 290 casseurs ont été interpelés dans plusieurs grandes villes », crisse des dents avec elle Vincent Parizot. La mise en bouche est un peu lourde pour un petit déjeuner, mais la suite s’avère encore plus consistante.
Marie Guerrier : « Des voitures avaient été incendiées, du mobilier urbain détruit, tous les signaux d’alerte sont au rouge », Jean-Alphonse Richard. Le fameux Jean-Alphonse Richard, chef du service police-justice, n’a plus qu’à déclamer les communiqués de ses amis bien placés : « Effectivement du coté des forces de l’ordre on redoute cette journée qui apparaît comme celle de tous les dangers. En ligne de mire bien sûr la grande manifestation parisienne. Deux cortèges dont celui des lycéens. Les policiers, renseignements à l’appui savent qu’il sera particulièrement exposé. Confirmation de Mohamed Douhane, syndicat Synergie officier ».
Et pour confirmer, Mohamed Douhane confirme : « Nous avons des signes alarmants des services de renseignement. Ce qu’on craint, c’est non seulement des pillages de commerce mais également que des lycéens soient pris à partie par des casseurs qui tentent toujours de s’infiltrer au cœur du cortège pour dépouiller les manifestants ». Ce cher Jean-Alphonse réserve le meilleur pour la fin : « Selon nos informations ces fauteurs de troubles vont mélanger en fait casseurs professionnels, militants de l’ultra gauche, mais aussi sympathisants d’extrême droite. »
La loi des amalgames est dure, mais c’est là loi ! Avant tout jugement, les violences sont mises sur le compte de « casseurs » (et jamais de jeunes qui résistent aux violences policières) et de « fauteurs de troubles » politiquement étiquetés.
7h30 : double peine pour le citoyen lambda.
Mais ce n’est pas fini. L’auditeur de RTL déjà passablement rassasié d’informations dramatiques, n’a pas eu le temps de digérer le journal de 7h que déjà arrive celui de 7h30.
Vincent Parizot, désormais en roue libre, psalmodie sa leçon : « À la une de l’actualité, il y a ces manifestations à hauts risques un peu partout en France. La police craint l’action des casseurs en marge des cortèges […] ce qui a changé depuis mardi dernier, depuis le record de la mobilisation, c’est l’atmosphère, vraiment beaucoup plus tendue autour de ce mouvement social. »
Son complice d’antenne s’appelle cette fois-ci Philippe Antoine. Le tout nouveau co-rédacteur en chef de la tranche matinale est lui aussi rodé à dérouler la machine à faire peur : « Et hier déjà 300 interpellations. Cette nuit un collège au Mans a été entièrement détruit par un incendie, sans doute criminel. On ne sait pas s’il y a un lien avec ces violences redoutées. » Rien ne permet effectivement de faire à cette heure de la matinée le lien entre cet incendie et le mouvement social, mais Philippe Antoine le fait quand même.
Sur sa lancée, l’ancien correspondant de RTL aux USA (où, pendant cinq ans, il a sans doute appris à observer les luttes sociales…), change de registre, mais continue surtout à dénigrer le mouvement actuel : « En ce jour de grève surtout dans les transports, cette pénurie ponctuelle et localisée d’essence ne facilite évidemment pas les déplacements de ceux qui doivent aller travailler. On peut parler d’une sorte de double peine : pas d’essence pour rouler et peu de trains pour circuler. »
L’opposition entre les grévistes et manifestants d’une part, et le gouvernement de l’autre ? Disparue. Place au conflit présumé entre les premiers et les usagers… C’est ce que s’empresse de faire un des journalistes de la rédaction, Dominique Tenza, envoyé sur le terrain pour récolter bien entendu le désarroi de ceux qui veulent travailler : « On a du mal ce matin à percevoir cette solidarité qui semblait pourtant exister mardi dernier entre les usagers et les grévistes ». Aussi fragiles soient-ils, les sondages publiés les jours suivants contredisent absolument le grand reporter de terrain qui, sur le terrain (mais lequel ?), n’a vu que ce qu’il voulait voir 1).
7h40 : les pilleurs de l’économie.
Et pour bien isoler monsieur tout le monde du gréviste obtus, rien de mieux après le registre de la peur que d’aborder celui du porte-monnaie : les grèves coûtent cher !
Première salve à 7h40 avec le chroniqueur économique de la station, Christian Ménanteau : « Des milliers d’entreprises subissent, durant ces conflits, des pertes financières tout simplement parce qu’elles vont rater des ventes, perdre des commandes ou qu’elles vont livrer en retard, ce qui entraînera des pénalités. D’une façon générale, on considère que le chiffre d’affaires perdu lors d’une journée de grève n’est jamais, jamais récupéré à 100% […] Le coût invisible est celui qui est le plus dommageable. C’est celui de l’érosion de notre réputation économique. »
Et comme tout bon journaliste opposé à la grève, Christian Ménanteau prend alors l’exemple de… Marseille : « Le bon ou le pire exemple de cette destruction d’un potentiel économique, c’est le port de Marseille. L’ancien port numéro 1 en Europe est aujourd’hui un port de seconde zone. Il est boycotté par tous les grands transporteurs internationaux, et même par les industriels locaux, à cause de mouvements sociaux à répétition. […] Impossible, aujourd’hui, de chiffrer les dommages avec précision. En revanche, il est certain que les coûts indirects seront largement supérieurs à l’évaluation que vont livrer les experts. »
7h50 : les putschistes en herbe.
50 minutes après le début des hostilités, l’auditeur de RTL est forcément conscient de la situation : les grévistes sont des casseurs et des gaspilleurs d’argent. Ils va apprendre grâce à Jean-Michel Apathie que ce sont aussi des putschistes en herbe. Celui-ci que ses multiples activités empêchent de faire grève – chroniqueur au Grand Journal de Canal+, animateur du Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI en plus de son activité d’intervieweur sur RTL – justement reçoit le porte-parole du PS, Benoît Hamon. Une nouvelle occasion de manifester son désamour quasi pathologique pour les syndicats, lui qui fut pourtant dans les années 80 un des leaders bordelais du mouvement étudiant contre le ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur de l’époque, Alain Devaquet, et membre du Syndicat national des journalistes (SNJ) au début des années 90.
- « 2.500 des 12.500 stations-service sont aujourd’hui sans essence sur le territoire français. Est-il légitime au nom de l’opposition à la réforme des retraites voulue par le gouvernement de priver des français d’essence ? » - « Ma question c’était : est-il légitime de couper le robinet d’essence ? » - « Vous avez parlé, Benoît Hamon, la formule vous venez de l’employer, de “légitimité sociale”. La légitimité sociale, est-ce que c’est supérieur à la légitimité parlementaire ? » - « Dans votre esprit, j’essaie de comprendre, les syndicats ont une forme de droit de veto sur ce type de réforme ? » - « Il y a des gens avec qui on ne peut pas se mettre d’accord ! »
Questions de « l’avocat du diable » ou éditorial déguisé en interrogations ?
8h : la peur, le retour.
Cela fait presque une demi-heure que les auditeurs de RTL n’ont pas entendu le mot « casseur ». Le journal de 8h est l’occasion de réparer cet oubli… et de quelle façon ! Vincent Parizot, toujours en première ligne… de l’information, en profite tout d’abord pour élargir son vocabulaire un peu limité depuis le début de la matinée : « À la Une ce casse-tête des syndicats pour cette dixième journée d’action contre la réforme des retraites. À la fois maintenir la mobilisation et en même temps gérer sa radicalisation. »
Le troisième journal de la matinale permet à une troisième duettiste, Adeline François de faire son entrée dans le studio et de seconder un Vincent Parizot épuisé par l’intensité de la tâche.
Adeline François, le 23 août 2008, avait choisi… France Soir pour confier ses rêves après sa nomination à la tranche matinale de RTL : « C’est un mythe. Mes parents écoutaient RTL quand j’étais toute petite. Quand je suis arrivée à Paris en 2004 et que j’ai gravi les marches de la rue Bayard, j’ai dû me pincer pour y croire. […] Oui, c’est dans mes gènes. Mais j’ai bien failli faire une carrière d’orthophoniste. […] Je n’ai pas peur du travail. Je sais que j’ai une certaine résistance physique. »
C’est sans doute son goût du travail, fût-il le plus harassant, qui explique pourquoi elle n’est pas en grève ce 19 octobre 2010 et confie ainsi l’angoisse qui l’étreint : « Question ce matin : les casseurs vont-ils faire dégénérer le mouvement ? L’autre point noir du conflit, c’est l’approvisionnement en carburant. Plus de 2600 stations-service à sec. La pénurie tant redoutée complique déjà le quotidien de nombreux automobilistes. Quotidien très compliqué aussi pour les usagers des transports en commun. Toujours de fortes perturbations y compris dans les airs ».
L’apport du sang neuf d’Adeline François dope visiblement le présentateur vedette de la matinale qui retrouve aussitôt ses automatismes : « À chaque journée d’action, ses enjeux. La semaine dernière on s’interrogeait sur l’impact de la mobilisation des jeunes qui commençait à peine. Eh bien ce matin on redoute surtout les intrusions des casseurs ». Le numéro produit alors par les duettistes de choc de RTL est de toute qualité… journalistiquement parlant. « Cette dixième journée d’action contre la réforme des retraites est de tous les dangers », s’enflamme immédiatement Adeline François qui poursuit : « Les heurts entre jeunes et policiers qui se sont produits hier notamment à Nanterre et Lyon ne laissent rien augurer de bon ce matin. 290 casseurs ont été arrêtés sur la seule journée d’hier. Les autorités craignent le pire. »
Et devinez quelles « autorités » Adeline ressort pour évoquer le pire ? Le fameux Mohammed Douhane du syndicat de police Synergie-Officiers, déjà utilisé dans le journal de 7h30. Le « sonore » a visiblement été « retravaillé » pour faire un peu plus neuf et surtout encore plus inquiétant : « C’est la journée de tous les dangers. On sent que la tension est très importante. Nous avons des signes alarmants des services de renseignement. Ce qu’on craint, c’est non seulement des pillages de commerce mais également que des lycéens soient pris à partie par des casseurs qui seront venus dans cette manifestation uniquement pour commettre des déprédations et dépouiller les manifestants. » Et là on ne peut qu’applaudir RTL pour le choix de l’interviewé. C’est, comme il se dit dans le métier, un « bon client », un très, très bon client : « Ce qu’on craint par dessus tout c’est un dérapage, un mouvement de panique au milieu de la foule qui pourrait générer des blessés, et voire des morts. »
C’est dans des moments comme celui-là que l’on mesure le chemin parcouru depuis un an par une journaliste qui, comme elle le confiait à France Soir, possède RTL « dans les gènes ». La voix lugubre, Adeline François reprend à l’antenne : « Des blessés, voire même des morts… » Oui, vraiment, Adeline est promise à un bel avenir professionnel. « Génétique » ?
8h15 : le bloq de Benjamin.
À la sortie d’un tel journal, l’auditeur peut enfin mesurer quels dangers les grévistes font courir à la population et notamment aux jeunes. Il est donc grand temps justement… et tout à fait démocratiquement d’entendre à l’antenne un de ces fameux grévistes. La tâche d’en interviewer un est dévolue à l’inégalable Yves Calvi, le présentateur tout en nuance de « C Dans L’air », tout juste passé en cet automne du service public de France Inter à RTL : « Vous êtes en direct de votre lieu de travail ou plutôt de blocage, puisque vous êtes représentant syndical CGT à la raffinerie de Dunkerque. » Là l’auditeur mesure le talent d’un intervieweur comme Yves Calvi : « de votre lieu… de blocage puisque vous êtes représentant syndical CGT » car comme chacun le sait un représentant CGT ne travaille pas - jamais ? - mais bloque.
Yves Calvi continue sur sa lancée : « 28 ans, père de famille avec trois enfants, vous travaillez depuis l’âge de 19 ans et donc j’imagine que vous comprenez très bien à quel point un mouvement comme le vôtre est dur à vivre pour les français qui nous écoutent, autrement dit je m’adresse à l’être humain et non au syndicaliste obtus, vous pouvez comprendre alors ? Alors première question, difficulté dans les transports plus pénurie d’essence, est-ce que vous ne trouvez pas que ça fait quand même beaucoup ? »
Le syndicaliste, Benjamin Tange, a beau tenter de s’expliquer, rien ne peut faire dévier Yves Calvi de sa mission, informer correctement l’auditeur de RTL sur l’action des salariés des raffineries : « Il y a une rumeur qui dit que les techniciens de maintenance même grévistes sont payés, c’est vrai ou c’est faux ça Benjamin ? […] On est bien entendu dans un rapport de force. C’est votre mouvement – celui de la pression sur l’essence – qui modifie la donne dans le conflit des retraites, justement est-ce que ce n’est pas la pression de trop ? »
8h40 : les pilleurs de l’économie, le retour.
RTL n’hésite pas en ce 19 octobre à se répéter pour mieux informer l’auditeur. À 8h40 il est normalement entendu que les casseurs vont à nouveau casser. Reste à convaincre que toutes ces grèves coûtent cher. Christian Menanteau a ouvert le bal à 7h40. C’est l’heure de la deuxième couche.
Michel Godet, grand expert français anti-grèves, est donc invité sur RTL… pour la 88e fois depuis trois ans 2). Il est intéressant d’analyser la manière avec laquelle un journaliste objectif comme Vincent Parizot, dont la neutralité ne peut être mise en question, s’y prend pour aborder le sujet : « À l’aube de cette dixième journée d’action contre la réforme des retraites, on se demande si la France a bien les moyens de se payer ce conflit dur et surtout long ? Est-ce que le bon sens ça serait de faire l’addition et de dire qu’elle sera trop lourde ? » Oui, oui Vincent Parizot pose des questions. Il y a à chaque fois des points d’interrogation à la fin des phrases. Comme par exemple dans ces autres questions que pourraient poser les enquêteurs d’Acrimed : « À l’aube de cette dixième journée d’action contre la réforme des retraites, on se demande si RTL est la meilleure radio pour informer sur un mouvement social ? Est-ce que le bon sens ça serait de poser le constat et de dire que Vincent Parizot est un journaliste dont l’objectivité est aussi grande que le présentateur de la télévision soviétique à l’époque de Brejnev ? ».
Après de telles questions, l’expert anti-grèves Michel Godet peut développer son expertise truffée de… mensonges sans risquer d’être contredit.
Paroles d’expert : « Tout à l’heure ça a été annoncé par Christian Ménanteau. Madame Lagarde parle de 300 millions d’euros. En fait les chiffres de l’INSEE depuis des années c’est plutôt 400 millions d’euros que représente chaque jour de grève et trois jours de grève ça fait deux fois le montant du bouclier fiscal […] Donc chaque jour qui passe, on ne fait que creuser le déficit, on ne fait que creuser la dette et donc c’est complètement irresponsable vis à vis des générations futures qu’en plus on fait descendre dans la rue ». À ce moment de l’intervention, n’importe quel journaliste ayant travaillé son sujet pourrait contredire Michel Godet. Pas Vincent Parizot, « un gros bosseur » (selon Le Parisien du 24 août 2008) qui avoue lui-même « être très concentré sur l’information, mais savoir aussi prendre du recul ». Un recul si bien informé qu’il ne lui permet pas de relever que les chiffres avancés par Michel Godet non seulement sont datés, mais sont en grande partie faussés ou faux.
L’expert préféré de RTL, en effet, fait très probablement référence à deux estimations - l’une de Bercy et l’autre de l’INSEE - publiées en 2007, suite au long conflit des cheminots protestant contre la réforme des régimes spéciaux de retraites. Autant l’estimation de Bercy était calculée pour un jour de grève, autant celle de l’INSEE couvrait… dix jours de grèves. De plus le contexte n’était pas le même : pas le même type de perturbation, pas le même nombre de grévistes. Un rapport rédigé par le député UMP Hervé Mariton en 2009 sur le coût des grèves reprenait du reste les deux chiffres pour conclure : « Il importe de souligner que, selon la méthode de l’INSEE, l’impact des grèves de 2007 sur l’économie française est 10 fois inférieur à celui calculé par le ministère de l’économie. Cette divergence majeure entre ces deux évaluations les fragilise toutes deux. On peut se demander s’il n’appartient pas à une démocratie adulte de construire des instruments d’analyse des coûts des grèves, dont les résultats pourraient être versés au dossier des négociations » 3).
Michel Godet peut mystifier la réalité sans effrayer en aucune façon le professionnalisme de Vincent Parizot. L’expert préféré d’Yves Calvi (qui l’a invité huit fois depuis le début de l’année dans « C Dans L’air » sur France 5) n’a aucun mal à dérouler tranquillement la même prose qu’il récite depuis 20 ans : « Écoutez, je ris d’une façon un peu triste pour mon pays et pour mes enfants, parce que ceux qui font grève aujourd’hui, de toute façon ils ne risquent pas de perdre l’emploi […] On a le record de la gréviculture comme on dit. La SNCF, c’est 1% des salariés de ce pays, c’est 10% de jours de grève. »
8h45 : vive le rire pompier !
La « matinale » tire à sa fin. Après un tel moment d’informations, RTL ne peut que terminer en beauté. À croire que consommer une information de la sorte ouvre des dispositions pour écouter la suite, c’est à dire Laurent Gerra. Ce 19 octobre c’est donc avec l’imitation de Guy Béart que les auditeurs de la station la plus écoutée de France partent travailler. Les autres qui font grève ont, peut-être depuis longtemps, déserté l’antenne : « Il n’y a plus d’essence, on est coincé, merci à la CGT et même le pompiste s’est fait pomper [gros rires gras derrière… sans doute Vincent, Jean-Michel, Yves et les autres ?] merci à la CFDT […] Ce matin il y a plus de carburant et demain il aura plus de carburant. On sera bloqué sur les rou-outes, on se touchera la birou-oute [re-rires gras], si les pompistes sont fermés, dans la voiture on se fera pomper [re-rires gras]. »
La matinale s’achève. Les journalistes de RTL, harassés, peuvent enfin se détendre la conscience tranquille après un travail si bien fait.
Le 18 décembre 2008, le chef d’orchestre de la matinale, Vincent Parizot, faisait part dans France Soir, un autre grand journal de qualité, du professionnalisme de l’ensemble de l’équipe : « C’est la marque RTL, l’information de qualité et aussi les diverses interventions des acteurs de cette matinale comme Jean-Michel Aphatie. D’ailleurs ce dernier a le rendez-vous politique de référence à la radio. Sur RTL, nous essayons de rendre cette actualité plus digeste, dans une période qui n’est pas facile. On veut donner quelques raisons aux auditeurs de sourire avec des rendez-vous comme Laurent Gerra à 8h50 qui permet chaque jour de décompresser un peu. Cependant, ce qui compte avant tout, c’est la rigueur. »
Ce mardi 19 octobre, faut-il rappeler qu’il n’y a eu aucun mort dans l’ensemble des manifestations et, finalement, très peu d’incidents graves.
Mais, sur RTL, « ce qui compte avant tout, c’est la rigueur » !