La véridique et surprenante histoire de la manifestation de Nantes

Par Hervé Kempf (Reporterre)

Article original sur www.reporterre.net
Proposé pour la Une du FSL par Jean de l'ACIPA



La manifestation du 22 février à Nantes contre l’aéroport de Notre Dame des Landes a été un grand succès populaire. Mais les affrontements avec la police qui l’ont marquée en ont terni l’image. Que s’est-il exactement passé samedi dernier ? Reporterre retisse le fil des événements.

La manifestation du samedi 22 février 2014 restera comme une étape marquante de la longue lutte contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Elle a vu se dérouler à Nantes une manifestation d’une importance jamais vue, en termes de nombre de participants, mais aussi d’affrontements avec les gendarmes et les CRS. C’est cette dernière image qu’ont retenu le pouvoir et les médias dominants. Ce qui a provoqué un véritable brouillage sur ce qui s’est effectivement passé.

Reporterre a été un des premiers à raconter en détail la manifestation, dès samedi soir, et à en montrer le visage pacifique et joyeux qu’occultaient les grands médias.

Mais compte tenu de l’importance de l’événement, il nous a paru nécessaire d’en reprendre le récit “à froid“, en complétant ce que nous avions vu par des témoignages recueillis au téléphone ou sur internet. Voici donc l’histoire de la manifestation du 22 février à Nantes.

Genèse de la manifestation

Sa gestation remonte à décembre dernier. Durant tout l’automne, les opposants ont été inquiets, craignant qu’en novembre, le pouvoir tenterait de ré-occuper la Zad. En décembre, la préfecture a publié des arrêtés ouvrant selon elle la voie juridique aux travaux de l’aéroport, et annonçant que « les travaux de construction de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes [pourraient] juridiquement commencer à partir de 2014 ». Les opposants ont senti qu’il fallait investir de nouveau la scène, alors que les promoteurs du projet avaient repris du poil de la bête.

Des membres de la Zad (Zone à défendre) ont proposé à la Coordination des opposants l’idée d’une grande manifestation, à Nantes, en février. Idée rapidement acceptée, et la préparation a commencé. En négociant d’abord sur la façon dont elle serait envisagée : « On voulait qualifier la manifestation de ‘familiale et festive’, dit Dominique Fresneau, de l’Acipa, ces termes ont été rejetés et on est resté sur les termes de ‘manifestation festive et déterminée’ » (expression reprise dans le communiqué final des organisateurs).

La préparation par toutes les composantes de la lutte a commencé de manière efficace. Les réunions de la coordination se déroulaient dans une très bonne ambiance, - « beaucoup mieux que le cauchemar qu’avait été la préparation de celle du 24 mars 2012 à Nantes », assure une participante.

Toutes les composantes de la coordination étaient conscientes que des débordements pourraient avoir lieu, comme il est fréquent dans toute manifestation urbaine, mais pensaient qu’ils se produiraient à la fin du rassemblement, vers 18 h, ainsi que cela s’était produit en 2012.

Quelques jours avant

zad_gacon_v_1-393bb.jpg - A la ferme de Bellevue -

Les jours précédant le samedi 22 février, la Zad était tranquille. Julie Gacon y a fait un reportage le mercredi 19, pour son émission « Sur la route », diffusée sur France Culture. Ambiance tranquille : « Il y avait des ateliers de couture dans les greniers à Bellevue, ils faisaient des masques et se marraient bien, aux Cent Noms, des gens très sympas, près des Fosses Noires, il y avait quatre gars qui jouaient de l’accordéon et devant la maison, deux personnes qui faisaient des banderoles. Sur les routes,c’était calme, il n’y avait pas beaucoup de voitures garées. Sur les chicanes de la D 281, les jeunes nous ont parlé librement », raconte-t-elle. Un habitant de la Zad, Catadi (prénom changé), dit : « A partir de jeudi, il y a eu plus de monde, comme avant chaque gros événement, mais c’était plutôt du tourisme militant qu’une organisation ».

clowns_rimbert_1_v_1-8986c.jpg - Stage de clowns -

Du côté de la police

La manifestation a aussi été soigneusement préparée du côté des autorités. Elles savaient qu’il y aurait beaucoup de participants, grâce à nombre d’enquêtes : par exemple, la DCRI interrogeait les transporteurs autocaristes dans les différents départements pour savoir combien de cars viendraient (témoignage recueilli par Reporterre en Haute-Loire).

Elles pensaient aussi qu’il y aurait du grabuge, comme en 2012, et un important dispositif policier a été prévu, « entre 1200 et 1500 personnes », comme l’a indiqué sur Télé Nantes Patrick Lapouze, directeur du cabinet du préfet de Loire-Atlantique en charge de la sécurité. (90).

lapouze_securite_v_1-f8f98.jpg - Patrick Lapouze (à gauche), dans un PC de sécurité -

Lors de la conférence de presse du dimanche 23 février, le Préfet de Loire-Altantique, Christian de Lavernée, a indiqué : « La police se préparait aux événements. Il fallait bien un millier d’hommes, et des moyens spécialisés ; pour la première fois à Nantes, on a eu des lanceurs d’eau ».

camions_police_vendredi_v_1-07199.jpg - Des fourgons de CRS vendredi 21, au bord de la Loire -

Le casse-tête du parcours

Dans l’esprit des organisateurs, le parcours de la manifestation devait emprunter, comme de coutume, un grand boulevard de Nantes, appelé le cours des Cinquante Otages. « C’est le lieu traditionnel des manifestations à Nantes », dit Nicolas de La Casinière, journaliste à Nantes et collaborateur de Reporterre.

La manifestation serait partie de la place de la Préfecture, aurait emprunté le cours des Cinquante Otages, et aurait tourné sur le cours Franklin Roosevelt pour rejoindre le square Daviais et la place de la Petite Hollande, située là où est écrit ”Musée de l’imprimerie“ sur le plan ci-dessous (on vous proposera un schéma plus clair dimanche, mais là, on a un souci logistique ☺).

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Tout était pensé dans cette optique. Sauf que, patatras ! Deux jours avant la manifestation, la préfecture annonce que le centre-ville sera interdit, et qu’on ne pourra pas emprunter le cours des Cinquante Otages. ”Considérant que plusieurs milliers de personnes sont attendues dans le cadre de cette manifestation, indique l’arrêté préfectoral, que la présence de groupes violents a été observée dans des manifestations de ce type par le passé, à Nantes, et qu’ils ont causé dans des circonstances comparables de serieux troubles à l’ordre public (…), tout type de manifestations ou attroupements est interdit le samedi 22 février 2014“ dans une liste de rues du centre, dont le fameux cours des Cinquante Otages.

Arrêté à télécharger

La nouvelle inattendue déstabilise les organisateurs : « C’est comme si à Paris, le trajet République-Bastille était interdit », indique Pandolphe (prénom changé), un zadiste. Dominique Fresneau explique : « Normalement, à Nantes, il n’y a pas de demande d’autorisation, on donne le parcours, et dans 99 % des cas, ce n’est pas contesté ».

Au demeurant, observe Nicolas de La Casinière, « s’il fallait protéger le centre ville, pourquoi passer par la rue de Strasbourg, où se trouve l’agence Vinci et l’hôtel de Ville ? La préfecture aurait pu faire passer rue de Sully, une rue plus à l’est ».

Dans le schéma proposé par la préfecture, la manifestation serait passée par la rue de Strasbourg, puis par le cours Estienne d’Orves avant de rejoindre la place de la Petite Hollande. Un tracé bien court pour un rassemblement qui s’annonçait très fourni. Les gens risquaient de piétiner. Alors, dit Dominique Fresneau, « on a pris la décision vendredi soir, au dernier moment, de la rallonger : la manifestation serait trop longue, on manquait de longueur de parcours pour tout le monde. La décision a été définitivement arrêtée à 12h30 le samedi de passer par le sud, par l’ïle Beaulieu ».

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Début de la manifestation

Toujours est-il qu’il faut s’adapter. Dès le matin du samedi, les paysans sont mobilisés : « Les convois de tracteurs ont commencé à partir dès 8 h, du Morbihan, de Rennes, de Maine-et-Loire, dit Dominique Guitton, du Copain 44, le collectif des paysans opposés à l’aéroport. On avait rendez-vous à midi aux entrées du périphérique de Nantes, et après on a convergé square Daviais. On a compté 520 tracteurs, sachant que quelques-uns sont arrivés après ». Un chiffre record, et qui surprend : on en espérait 300, dira le représentant du Copain lors de conférence de presse des opposants, le jeudi 27 février (à 23’15’’).

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Les tracteurs vont se disposer aux endroits prévus : ils ne vont pas suivre le parcours de la manifestation, mais se garer aux abords de la place de la Petite Hollande. Ceux du convoi venu de Chateaubriant, Ancenis et Nort-sur-Erdre vont cours Franklin Roosevelt, où ils sont installés vers 14 h.

Du côté de la place de la Préfecture, la foule commence à s’accumuler. Beaucoup de gens, de couleurs, de drapeaux, de déguisements, de familles avec enfants, de musiciens, de distributeurs de tracts divers. Des jeunes gens à capuche, aussi, avec sacs à dos, parfois masqués, mais on n’y fait pas trop attention. Le défilé commence, il est festif, joyeux, bruyant (on vous l’a raconté par ailleurs et en photos).

La tête du cortège avance vite : il s’y trouve Sylvain Fresneau, paysan installé sur la zone, Julien Durand, un porte-parole de l’Acipa, José Bové. Elle longe le CHU (Centre hospitalier universitaire) et passe dans l’île Beaulieu, selon le trajet décidé, on l’a vu, au dernier moment. C’est là que, personnellement, je me trouve.

Mais pendant ce temps, à l’arrière, ça patine. Il y a encore beaucoup de monde place de la préfecture, qui attend de pouvoir avancer. Parce que rue de Strasbourg, on avance lentement. Certes, c’est « une manif hyper joyeuse, les gens se parlaient beaucoup », dit Adrien, venu de Bayonne. Le cortège est animé par l’« Eglise de la sainte consommation », des batucadas, des fanfares, la Brigade des activistes clowns. Des manifestants crient des slogans et collent des affiches sur les murs. L’agence Vinci, qui se trouve sur le trajet, est mise à sac par un groupe déterminé, diverses banques sont taguées, l’hôtel de ville est peinturluré (il paraît que c’est une sorte de coutume durant les manifestations nantaises). Tout ceci ralentit la marche.

Et c’est là que les choses se compliquent, parce que l’action se déroule sur plusieurs lieux à la fois. Devant, donc, le cortège, qui avance sans souci. A l’arrière, rue de Strasbourg, un lent écoulement, lui aussi joyeux mais perturbé par les diverses dégradations. Pendant ce temps, la tension commence à monter au débouché du cours des Cinquante otages, où la police installe un mur de plexiglas dans le prolongement du Cours Franklin Roosevelt.

Vers 14h15, raconte Michel, un paysan venu avec son tracteur dans le groupe de Chateaubriant-Ancenis-Nort-sur-Erdre, « on a vu les gardes mobiles qui prenaient position sur le cours des Cinquante Otages, avec le canon à eau, et qui montaient leur mur. Ca nous a choqué, ça voulait dire que les gens ne pouvaient plus nous rejoindre ». En effet, le centre ville restait accessible aux promeneurs : des gens marchaient donc cours des Cinquante Otages et rejoignaient le cours Franklin Roosevelt. Circulation interdite, donc, par le mur érigé par la police.

Michel reprend : « On a pris la décision de mettre nos tracteurs au ras de ce mur. Notre intention n’était pas de pousser les gardes, mais d’être là ».

tracteurs_face_a_la_grille_v_1-27210.jpg - Les tracteurs contre la grille du Cours des Otages -

Michel : « Des gens ont commencé à s’agglutiner, à taper sur le mur, ils ne savaient plus où passer ».

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Tout se joue dans cette demi-heure. Car ces gens qui s’agglutinent, une partie vient du deuxième membre de la manifestation, le plus gros, qui a décroché des quelques milliers de personnes qui sont dans la tête. Arrivés au croisement du bas du cours Olivier de Clisson (prolongeant le cours des Cinquante Otages au sud du cours Franklin Roosevelt), des gens ont vraisemblablement commencé à tourner vers le Cours des 50 Otages, lieu traditionnel des manifestations, et en l’absence d’organisateurs indiquant le bon chemin.

De plus, dans le même intervalle de temps, des actions plus agressives commencent à se produire : au débouché de la rue de Strasbourg, une foreuse installée sur un chantier, square Mercoeur, est incendiée.

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Derrière, au débouché de la rue de Strasbourg, Adrien raconte : « On débouche sur la foreuse en feu, c’était impressionnant. On se rend compte qu’on était dans le cœur du groupe de ceux qui taguaient et cassaient un peu, derrière la remorque du triton, une dizaine de types avec des capuches et des foulards, en dégaine de combat, ils ne parlaient pas alors que tout le monde se parlait ». Des types balancent des ficelles lestées sur les caténaires de la ligne de tram, qui passe là, pour la détériorer.

A peu près au même moment, un autre groupe s’attaque posément au commissariat situé au coin du boulevard Clisson et du quai de Turenne : tagage et incendie bien décrit par le reportage de Rennes TV (autour de 9’50’’) – on entend même une femme crier, « Arrêtez, s’il vous plait ».

Du côté du mur, le tapage continue : « Une partie des manifestants se colle contre les grilles anti-émeutes et se met à taper dessus sans excès, nous indique un témoin dans un courriel. Ca dure peut-être dix quinze minutes, de ce que j’en vois, et derrière tout cela, la manifestation continue à défiler en prenant le cours Roosevelt pour la Petite Hollande. Seulement voilà, quelques oeufs de peinture sont lancés sur les policiers et quelqu’un leur étale de la peinture noire sur la visière… La patience infinie des forces de police prend fin et les premières grenades sont lancées sur les manifestants un peu avant quinze heures. Le canon à eau est mis en marche dans les trois minutes qui suivent. »

Ce que voit Michel : « Il était vers 15 h, nos tracteurs étaient toujours là, les gens tapaient de plus en plus, des jeunes ont balancé des canettes sur les policiers, ça a servi de prétexte, des grenades lacrymogènes ont été tirées, et là, c’est parti ».

Autre témoignage, de C. : « Ca a dégénéré quand un flic a reçu un pot de peinture, il a répondu par un jet de gaz, les opposants n’attendaient que ça, c’est parti ».

« Entre 14 h 30 et 15 h, tout est parti en même temps, dit une journaliste nantaise  : la foreuse brûle, le commissariat est attaqué, et les premières lacrymogènes explosent ».

commissariat_1_v_1-5b2a4.jpg - Etat du commissariat à 14 h 55 -

« Les policiers ont réagi tout de suite, poursuit Michel, ils avaient tout fait pour déclencher l’émeute en faisant monter la pression. On a retiré les tracteurs tout de suite, sous les lacrymos, une vitre d’une cabine a été brisée, un tracteur est resté parce qu’il n’y avait plus la clé, il a fallu le tirer avec un câble, sous les lacrymos et les projectiles ».

seul_contre_le_mur_v_1-777ce.jpg - Le mur et le dernier tracteur -

La bagarre a-t-elle été délibérément provoquée par des radicaux organisés ? « Au départ, dit Michel, ce n’était pas des gens organisés. Après, oui, les groupes organisés sont arrivés. »

Plus au sud, il y a aussi des affrontements au niveau du CHU. Barnabé Binctin, autre journaliste de Reporterre, qui se trouve à ce carrefour, envoie à 15 h 05 un texto : « On a été gazés ». Au rond-point du CHU, explique-t-il, la manifestation était paralysée, bloquée, tout le monde était focalisé sur ce qui se passait du côté du cours des Cinquante otages. Après, ça a chauffé également près du CHU, et il y a eu une barricade rue Kervegan.

Le flot des manifestants continue à arriver. Toute l’attention est maintenant attirée par les échauffourées, mais le Cours Olivier de Clisson est encore accessible, et c’est la voie qu’emprunte la majorité des gens. Les organisateurs n’ont pas prévu de service d’ordre pour indiquer une autre voie. « Depuis le cours d’Estienne d’Orves, les gens tournaient à droite vers le cours des Otages et s’entassaient sur le barrage des gendarmes, raconte Geneviève Coiffard-Grosdoy, membre de la Coordination. Normalement, ils auraient dû tourner à gauche sur le cours Frankin Roosevelt. On était quelques-uns à dire aux gens de circuler, mais on n’avait pas de mégaphone, ça n’avançait pas ».

Les affrontements deviennent de plus en plus vifs, des jeunes jettent des projectiles vers le mur des CRS, qui répliquent au canon à eau et en noyant le vaste carrefour où se croise cours des Cinquante Otages et cours Franklin Roosevelt sous les gaz lacrymogènes. Les gens commencent à être perdus. « On était bloqué, on n’avait pas vu les barrières s’installer, il y avait des familles, des enfants, plein d’enfants », dit Mira, venue de Limoges avec son mari et leur fille de trois ans. « On avait le sentiment d’être cernés, l’impression que la police provoquait, on est partis vers la Loire ».

Certains sont parvenus à passer par le cours Franklin Roosevelt (qui reste accessible, malgré les gaz lacrymogènes) vers la place de la Petite Hollande, d’autres atteignent celle-ci par le boulevard Etienne Philippot, le premier bloc de la manifestation revient quant à lui de l’île par un pont à l’ouest. La place de la Petite Hollande est pleine de monde, les prises de parole se succèdent sur le petit podium, pendant qu’à quelques centaines de mètres, projectiles divers s’échangent avec des grenades lacrymogènes ou assourdissantes.

Là, il y a deux façons de voir les choses. Celles qu’ont montré les nombreuses photographies, qui donnent une ambiance d’émeute – réelle au demeurant.

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Mais sur tout le cours Franklin Roosevelt, il y a des centaines de personnes, peut-être des milliers, qui regardent ce qui se passe, par curiosité et avec une certaine empathie. Au milieu des badauds où se trouvent encore quelques clowns ou musiciens, les émeutiers refluent selon la direction des tirs de grenades avant de repartir vers le mur policier où se focalise l’affrontement.

Fin de la manifestation

Mais autour de 16h45, la foule reflue du cours Franklin Roosevelt vers la place de la Petite Hollande, alors que les tracteurs ont commencé à partir. Les camions de gendarmes se mettent en ligne et vont commencer à parcourir le cours, repoussant les gens, émeutiers et manifestants mêlés, à coups de grenades lacrymogènes. Sur la place de la Bourse, les terrasses de café sont pleines – à côté d’une agence SNCF largement taguée et peinturlurée. La police arrive, les gaz font partir tout le monde. Il est 18 h 30. Scène étrange, rue Jean-Jacques Rousseau, qui mène vers le centre ville où, rappelons-le, l’activité commerciale d’un samedi après-midi continue. Des groupes de gendarmes ont été placés ici et là. Dans la rue, quatre gendarmes sont isolés. Une centaine de gens se trouve autour d’eux, autant de badauds que de jeunes qui, quelques minutes avant, criaient contre les gendarmes en contrebas, sur la place. La discussion se poursuit avec le gradé, sans agressivité.

Dix minutes plus tard, on peut revenir sur le cours Franklin Roosevelt : il est dégagé, tout est presque tranquille. Le magasin Nouvelles Frontières n’a plus de vitrines, les pompiers arrosent la cabine de la société de transports en commun TAN qui a été détruite. Par terre, square Fleuriot de l’Angle, où étaient disposés d’autres gendarmes, gisent un très grand nombre de pavés.

Pendant ce temps, sur la place de la Petite Hollande, CRS et gendarmes évacuent la place où se trouvent encore quelques centaines de personnes. Les méthodes sont là beaucoup plus violentes que jusqu’alors, et des flash-balls à tir tendu sont utilisés, alors qu’il n’y a pas de menace, comme en attestent les nombreuses video montrant cet épisode.

Un jeune homme, Quentin Torselli est éborgné par un flash-ball (lire son récit).

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Un journaliste de Rennes TV, Gaspard Glenz, a aussi été touché par un tir tendu, et porte plainte pour "violence volontaire avec arme".

Un policier en semi-civil pratique un tir tendu sur un journaliste, qui reconstitue précisément l’épisode.

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Fin de la manifestation, avant 20 h.

Le bilan des blessés et les dégâts

En ce qui concerne les blessés, voilà un des témoignages de l’équipe médicale mise en place par la Zad : ”Comme equipe medic, on a vu une cinquante de blesses, dont 13 blessures au visage par flashball : 4 hématomes a lʼœil, 2 arcades ouvertes, hémorragies faciale, saignement a lʼoreille, fracture d nez, plusieurs blessures a la crane. Aussi plusieurs impactes de flashball au thorax, jambes, un doigt cassé. Aussi 2 personnes avec des brulures par gaz poivrée, 3 désorienté par grenades assourdissante et des impact des battons. Au moins 4 pris en charge par les pompiers. + le journaliste de Rennes Tv par éclats de grenade dans les jambes)“.

Du côté des policiers et gendarmes, un premier bilan dimanche matin est donné par Patrick Lapouze lors de la conférence de presse à la préfecture : « Il y a eu dix blessés chez les gendarmes. Blessés, cela veut dire qu’ils sont passés à l’hôpital. Il n’y a pas eu de blessure grave ».

En ce qui concerne les dégâts matériels, « Nantes n’a pas été saccagée, contrairement à ce qui a été dit », a indiqué M. Lapouze sur Télé Nantes.

Un recensement a été fait par Duclock. Ce qui donne : une dizaine de vitrines brisées (Nantes Tourisme, SNCF, Vinci, bar le Chat Noir, FRAM) ; deux cabanons de la TAN incendiés ; incendie d’une foreuse d’un chantier ; mobilier urbain (vitres abris tram/bus et panneaux publicitaires détruits), pavés arrachés à certains endroits entre les rails du tram sur la place du commerce et sur une portion de 3 mètres sur 5 dans la rue Kervégan.

L’interprétation officielle de l’événement

Dès 19 h 00, le ministre de l’Intérieur, en déplacement dans l’Essonne, donne son interprétation : parlant de ”véritable guerilla urbaine“, il estime qu’elle émane « de l’ultra gauche, de blacks blocs, qui voulaient casser du policier et s’en prendre aux mobiliers urbains ».

Et dès le soir, les images tournent en boucle sur les télévisions - sur le mode ”émeutes et saccage à Nantes“ -, tandis que sur Internet, c’est le même message qui est repris par tous les sites d’information de presse.

Le lendemain, en conférence de presse, le préfet de Loire-Atlantique, Christian de Lavernée, pousse le raisonnement : « Il y a un rapport entre ce qui s’est passé à Nantes et ce qui se prépare sur la Zad. Le combat de Nantes est une répétition de ce qui se passerait sur la Zad. L’opposition institutionnelle doit prendre position sur le squat ».

Patrick Lapouze précise : « Tous les gens que j’ai vu participer aux violences samedi dans Nantes sont des gens qui correspondent aux différents profils que l’on retrouve sur la zad quand les pouvoirs publics ou les porteurs du projet y vont. Des gens qui ont un profil bon enfant type clown, des gens masqués et casqués, tout ce spectre de l’ultra-gauche est présent. Ce que vous avez à Nantes, c’est ce qui se passe sur la Zad ”.

Le raisonnement est clair : la guerilla urbaine a été organisée par des black-blocs. Ceux-ci émanent de la Zad. Il faut évacuer la Zad.

Et dès le 26 février, le président du conseil régional des Pays de Loire, Jacques Auxiette, demande à François Hollande l’évacuation de la Zad

Un dérapage qui arrange si bien le pouvoir

Le scénario est si limpide qu’une question se pose : toute l’affaire n’a-t-elle pas été arrangée pour faciliter des violences qui auront un si bel impact médiatique et permettra de présenter les opposants à l’aéroport comme de dangereux agitateurs ?

C’est la version qui est proposée de façon argumentée par Françoise Verchère, conseillère générale (PG) de Loire-Atlantique et présidente du CeDPA (Collectif des élus doutant de la pertinence de l’aéroport), dans une lettre à Manuel Valls.

Plusieurs éléments confortent ce point de vue :

  • l’interdiction exceptionnelle du cours des Cinquante Otages, quelques jours avant la manifestation, alors que c’est le parcours habituel des manifestations nantaises, a déstabilisé le plan des organisateurs ; comme l’observe Tristan Vebens, « la longueur d’un parcours est fonction de l’affluence estimée à l’avance » ; or, l’on savait qu’il y aurait beaucoup de monde. « Il s’agit donc bien d’un choix délibéré de cantonner une grosse manifestation sur un petit parcours amenant le début du défilé à piétiner, très tôt, à la fin du parcours, devant les grilles qui barraient le cours des Cinquante otages. »
  • le positionnement des CRS cours des Cinquante Otages, au contact direct de la foule, prédisposait à l’affrontement. Une barrière en retrait de quelques dizaines de mètres aurait moins facilité les attaques ;
  • alors que toutes les voitures avaient été enlevées sur le parcours, la foreuse et des engins de chantier sont restés en place, comme autant de cibles, tandis que le magasin Vinci ou le commissariat étaient laissés sans protection ;
  • on ne peut exclure non plus que des policiers en civil aient joué la provocation. En atteste par exemple une scène filmée lors des affrontements par l’Agence Info Libre :

A 11’14’’, on voit un homme, habillé en noir et muni d’un masque à gaz sous capuche, dire “Affirmatif, affirmatif” dans ce qui parait être son micro. Un langage qui parait plus militaire qu’anarchiste.

Qui ?

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Il n’en reste pas moins que divers groupes de manifestants étaient organisés pour provoquer de la casse et se confronter aux forces de police.

Dans la même vidéo - et comme par ailleurs nous avons pu le voir, ainsi que d’autres témoins -, on observe des personnes très bien équipées de masque à gaz (par exemple à 8’05’’), de sacs à dos, d’autres qui utilisent un appareil à tirer des fusées d’artifice (à 14’06’’), des extincteurs remplis de peinture. Une journaliste nous dit avoir vu des gens ainsi habillés pousser une file de caddies pleins dissimulés sous une toile. « Il y avait des groupes hyper organisés, habillés en noir avec des sacs à dos, on en a vu certains retirer leurs vêtements pour les mettre au feu », dit à Mediapart Caroline de Benedetti, présente dans le cortège et qui s’occupe du magazine L’Indic.

Par ailleurs, plusieurs actions semblaient bien préparées, comme les attaques du commissariat et de Vinci ou l’incendie de la foreuse.

Combien de personnes impliqués ? De quelques dizaines à quelques centaines – 300, selon ce qu’indique la police au Figaro.

Avec une volonté d’en découdre ? Oui, incontestablement, avec billes d’acier et fusées d’artifice ou de détresse, extincteurs chargés de peinture, qui ne trainent pas par terre comme des pavés.

« Tout le monde n’attendait que ça, les combattants comme les flics », résume Adrien.

Venus de la Zad, comme veulent le faire croire les autorités ? « On n’a pas lancé l’émeute, dit Pandolphe, on n’en a pas la volonté, ni les moyens. Les gens du Collectif de Paris nous ont dit qu’ils sont habitués à ce que les gens viennent dans les manifestations exprimer leur rage. Mais on ne veut pas se désolidariser de ce qui s’est passé ».

Certains, cependant, ont pu passer par la Zad et s’y préparer en partie. Le chemin est connu, depuis l’invasion policière en novembre 2012, où des “combattants” avaient aidé zadistes et opposants de tous horizons à résister à la violente opération “César 44”.

En fait, la situation n’est pas propre à Notre Dame des Landes : depuis plusieurs années, un assez grand nombre de personnes, que l’on pourrait qualifier de radicaux, anarcho-autonomes, anticapitalistes, participent à diverses actions ou manifestations dans un esprit de confrontation avec la police. Sans doute se concertent-ils au travers d’instrument aussi diaboliquement dangereux que les messageries internet et les téléphones portables. C’est un choix politique que l’on peut contester, mais qui résonne incontestablement chez nombre de jeunes et moins jeunes, qui se sentent écrasés par un système social et politique hautement contestable. Il n’y a pas tant besoin de chercher des Blacks-blocs ou autre fantasme d’organisation secrète que de constater que la société actuelle et des projets comme celui de l’aéroport de Notre Dame des Landes ne suscitent pas un franc sentiment d’adhésion chez la jeunesse.

« Des gens ont profité de cette manifestation pour s’exprimer comme ça, dit Dominique Fresneau, de l’Acipa. Ce n’était pas le deal de départ ».

Au demeurant, d’autres colères s’expriment en France, qui ne semblent pas susciter tant d’inquiétude chez les autorités, comme avec les Bonnets rouges il y a quelques mois, qui ont saccagé allègrement des dizaines de portiques d’écotaxe.

Un rendez-vous s’était donné à Nantes. Le pouvoir en était bien informé. Il n’a pas cherché à le désamorcer, mais à le mettre en scène médiatiquement.

Ce qu’il reste

Les opposants ont perdu la bataille de la communication : « Il y avait intention de laisser les troubles s’installer, avec un visuel, les médias qui jouent le sensationnel, dit Nicolas de La Casinière. C’était délibéré de la part du préfet et ça a bien marché. Il y a eu fabrication d’une image frappant l’opinion, préparant la violence qui se déploierait sur la Zad ». Pandolphe confirme : « En communication, ils nous ont défoncé la gueule ». Vu de loin, depuis Marseille, un militant estime : « Ce qu’on a vu discrédite le mouvement ».

Mais l’opposition à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a montré sa force. 520 tracteurs, c’était du jamais vu, qui a étonné les organisateurs eux-mêmes. Et alors que la préfecture avait compté 12 000 manifestants lors de la manifestation de réoccupation à Notre-Dame-des-Landes (là où les opposants en avaient vu 40 000), elle a annoncé 20 000 manifestants pour samedi 22 février (les opposants disent 50 000). La mobilisation ne faiblit pas, bien au contraire.

Les autorités voulaient, de nouveau, diviser le mouvement, entre gentils « institutionnels » et méchants zadistes. C’est raté. Dès samedi soir, un communiqué commun manifestait l’union, confirmée dans les jours qui ont suivi. Le mouvement se réunifie sur la thèse de la provocation policière. Laissant de côté les divergences qui existent sur l’utilité du recours à la violence. Des explications auront lieu. La relation entre zadistes et autres a toujours été tumultueuse. Mais elle devrait rester solide. « L’important est de rester unis », dit Dominique Guitton.

Ce récit ne prétend pas être exhaustif. N’hésitez pas à aider à l’améliorer, et à le corriger si nécessaire, en écrivant à planete@reporterre.net

Photos :

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